SIBUET



Remise d'une croix de la Légion d'Honneur par le Premier consul en 1804.
Ce ne peut pas être Sibuet !
Dessin de Henri Dimpre, Hachette, 1957


Benoît Prosper

Général de brigade né le 9 juin 1773 à Belley de l'Ain et tué en Silésie, près de Loewenberg, dans le torrent de la Bober, le 29 août 1813

Benoît Prosper Sibuet est le fils de Maximin Sibuet, procureur au bailliage du Bugey et d'Anthelmette Lavigne, son épouse. Il est baptisé le 10 juin 1773 à Belley. Son parrain est Benoît Balme marchand confiseur et sa marraine est Claudine Janet. Son frère aîné Georges Sibuet est magistrat, président du tribunal de première instance de Créteil en 1808, élu à la chambre des représentants pendant les Cent-Jours. Benoît Sibuet fait ses études au collège de Belley dirigé par les Pères Joséphistes. Il s'engage le 1er décembre 1791 au 2e bataillon de volontaires de l'Ain dans l'armée des Alpes. Sergent le 1er juin 1792, il est à l'armée du Rhin et participe au siège de Mayence où il devient sous-lieutenant le 20 août 1793. Puis le 1er septembre 1793, il passe à l'armée des Pyrénées Orientales où il est affecté à l'état-major comme lieutenant adjoint. Sibuet est blessé le 26 juillet 1795 à l'assaut de Puigcerda par les Espagnols. Il reçoit un sabre d'honneur puis est détaché du 16e régiment de cavalerie à Versailles avec le grade de lieutenant et la  fonction d'instructeur pendant 18 mois. Il part pour l'armée d'Helvétie en 1798 où il se fait remarquer par Masséna. Il devient son aide de camp le 17 décembre 1799. Blessé pendant le blocus de Gênes, il est ensuite nommé capitaine par Masséna puis confirmé dans ce grade par arrêté des Consuls le 26 octobre 1800. Il est envoyé ensuite à l'armée de Naples où il reçoit la Légion d'honneur le 17 janvier 1805 (et non 1804). Il est nommé chef d'escadron (lieutenant-colonel dans la cavalerie) le 22 février 1805 et participe à l'armée d'Italie aux combats de Caldiero et de Campo-Pietro en octobre 1805. Il suit Masséna dans sa conquête de Naples en 1806 puis à la Grande Armée en Pologne en 1807. Le 10 novembre 1807, il est nommé major et quitte Masséna pour rejoindre Bayonne au 119e régiment de ligne avant d'être affecté en 1809 à l'armée du Brabant sous la direction de Bernadotte. Le 17 juillet 1809, après autorisation ministérielle du 24 mai 1809, il épouse Geneviève Angélique Morand, la fille du général Joseph Morand et devient ainsi beau-frère du général Louis Montbrun. Il entre au 96e régiment de ligne le 13 avril 1810 et est nommé chevalier de l'Empire le 30 octobre 1810 avec une dotation en Westphalie. Son fils Joseph Prosper Sibuet puis sa fille Angélique Léonice Sibuet naissent à Thionville, respectivement le 17 février 1811 et le 12 septembre 1812. Il est nommé colonel du 147e régiment de ligne le 16 janvier 1813 et participe à la poursuite des troupes prussiennes et russes battues à Bautzen (20 - 21 mai 1813). Durant cette marche forcée contre les arrière-gardes ennemies, il est blessé le 24 mai 1813 sur le bord de la Katzbach. Il reçoit après ricochet un boulet de canon qui le blesse fortement à la cuisse en le renversant de cheval. Il est ensuite nommé général de brigade le 23 août 1813 et devient chef de la deuxième brigade de la 17e division du 5e corps de la Grande Armée dirigé par Macdonald. Sibuet rencontre le 23 août les troupes de Blucher à Goldberg qui se replient sur Jauer sur la Katzbach  mais le combat se poursuit avec les troupes russes de Langeron qui cernent les Français dirigés par Puthod devant la Bober en crue. Battu à Plagwitz (actuellement Plakowice), sur la rive opposée à Loewenberg, Sibuet fait jeter les aigles de ses régiments à l'eau, brise son épée et se précipite à cheval dans le torrent de la Bober où il expire sous les balles ennemies. Son corps n'a pas été retrouvé. Le nom de SIBUET est inscrit sur l'Arc de Triomphe en mai 1867, sur le pilier sud, en bas de la colonne 30. Quant à la ville de Paris, elle donne le nom de SIBUET à une rue du 12e arrondissement en 1868.


Le général SIBUET (Photo du tableau original par Paul ROUX). À gauche du tableau, on peut noter ses armoiries de chevalier de l'Empire.


Campagne de Saxe en 1813 (carte extraite du livre de R. JALLIFFIER et A. BUCHNER Cartes et croquis des campagnes de 1789 à nos jours, Paris, Garnier frères Éditeurs, 1894) 

Loewenberg sur la Bober (actuellement Lwowek sur la Bobr en Pologne) est à peu près à la même latitude que Goldberg (actuellement Zlotoryja) et Jauer sur la Katzbach (actuellement Jawor sur la Kaczawa) et Breslau (actuellement Wroclaw)

 

Les péripéties de l'inscription du nom de SIBUET sur l'Arc de Triomphe

Le nom du général Sibuet n'est pas retenu dans la première liste de 384 noms établie par Saint Cyr Nugues en 1836, ni en 1841 dans la seconde liste de 244 noms établie par la commission présidée par Oudinot et dont les membres sont Reille, Dode, Petit, Pelet, Exelmans, Neigre, Schneider, Rosamel et de Saint-Mars le secrétaire. Devant les nombreuses réclamations, Soult demande à la commission d'ajouter encore quelques noms, avec l'accord de Guillaume Blouet l'architecte de l'Arc de Triomphe, assisté du lieutenant général comte du Rocheret. Joseph Prosper Sibet, le fils du général Sibuet est baron et auditeur au Conseil d'État. Il écrit à Soult, le 6 février 1842, pour réclamer l'inscription du nom de son père. Dans sa lettre, il dit ne pas comprendre pourquoi les noms de son oncle le général Montbrun et de son grand-père le général Morand, tous les deux morts au champ d'honneur, sont inscrits sur l'Arc de Triomphe alors que le nom de son père également mort au combat n'y est pas. Le 7 mai 1842, Martineau, conseiller d'État et secrétaire général écrit au maréchal Soult un rapport résumant les positions de la commission de l'Arc de Triomphe dans lesquelles Sibuet figure en dixième position parmi 20 noms qui pourraient être inscrits sur l'Arc de Triomphe. Le 14 mai 1842, Joseph Sibuet écrit encore au maréchal Soult pour réclamer à nouveau l'inscription du nom de son père. En marge du courrier, le secrétaire général écrit « Lui répondre pour lui dire que la liste est arrêtée, que toutes les places sont prises et que j'éprouve le regret de ne pas pouvoir donner suite à sa demande. Le Ministre » Loin de se décourager, Joseph Sibuet écrit de nouveau au maréchal Soult le 19 mai 1842, la lettre suivante  (pièce n° 96  du dossier Sibuet au S.H.D.) :

 «

(en marge

Faire comprendre dans la liste supplémentaire

des noms qui doivent être inscrits sur l’Arc

de Triomphe, celui du général Sibuet et

en prévenir son fils - Le Ministre)

 

Paris, le 19 mai 1842

Monsieur le Maréchal,

 

Ce n’est pas comme vous me l’écriviez dans votre lettre du 16 mai, mais ce 14 mai que je vous ai adressé une réclamation relative à mon père, le général Sibuet. Depuis plus de deux mois, je vous avais écrit pour cette affaire que j’ai suivie, soit au ministère de la Guerre ou des Travaux Publics, soit à la Légion d’honneur. J’ai vu tous les membres de la commission que vous avez nommés, tous m’ont affirmé qu’il avait été admis en principe par la commission que les noms des officiers généraux tués sur le champ de bataille seraient inscrits sur l’arc de Triomphe de l’Étoile. Cette déclaration m’a été faite d’une manière positive entre autres par les généraux Schneider, Petit, l’amiral Rosamel et le général Dode qui m’a dit avoir été chargé de faire des recherches et de prendre les noms des tablettes historiques de Versailles. Le nom de mon père n’était pas encore inscrit à Versailles à cette époque parce qu’ayant été tué en 1813 seulement. Il n’a été inscrit que lorsque l’on est arrivé à l’histoire de cette dernière période de l’Empire, autrement il n’y a pas de doute que son nom ait été pris avec les autres puisque le général Exelmans m’a dit que l’on avait été un moment embarrassé pour trouver la seconde liste, lorsqu'elle a été demandée à la commission et il a ajouté : si vous aviez alors réclamé, il est positif que le nom de votre père eut été compris. Je sais que plusieurs noms ont été désignés pour être gravés sans avoir été choisis par la commission qui dès lors a refusé de continuer le dernier travail qui n’est pas l’œuvre de la commission. Je crois que le nom de mon père devait être présenté à la commission et il ne l’a pas été. Tous les généraux qui la composent m’avaient donné leur parole que le nom de mon père serait compris dans ce dernier travail, M. le Maréchal Reggio (le maréchal Oudinot duc de Reggio) me l’avait aussi fait espérer et j’ai appris des généraux Reille et Petit comment il s’est fait que ce n’est pas la commission qui a désigné les derniers noms, raison pour laquelle le nom de mon père n’a pas été compris.

J’ai nommé au général Teste, mon ami et celui de mon père, les dernières listes données pour être inscrites et il m’a assuré que plusieurs de ces officiers n’étaient pas généraux sous l’Empire et qu’il y avait  des noms d’intendants qui se sont gorgés d’or tandis que mon pauvre père qui a versé tout son sang pour le pays et qui n’a laissé que sa gloire après lui à ses enfants est livré à l’oubli.

Mon père n’est pas le seul de la famille qui ait sacrifié sa vie pour le pays, le général Morand mon grand-père, a été tué aussi en 1813 devant Lunebourg et Montbrun mon oncle est mort à la Moskowa. Mon nom avait été illustré déjà dans les armées. Le Maréchal de Saxe avait pour aide de camp un de mes aïeux (Jacques Sibuet aide de camp du maréchal Maurice de Saxe à Fontenoy). Voilà Monsieur le Maréchal, tous les services rendus au pays par ma famille. Que l’on cherche en France et je défie que l’on trouve plus de malheurs réunis sur une seule famille. Mais c’est ainsi qu’en France on sait se souvenir des services passés ! Ainsi on décourage, ainsi on éloigne du gouvernement des gens de cœur prêts à suivre l’exemple de leurs pères. Quant à moi, je suis décidé à tout pour faire obtenir à mon père la réparation qui lui est due et il a répandu tout son sang pour me laisser un peu de gloire, je ferai tout pour la conserver. Je vais m’adresser au Roi qui l’a assuré lorsqu’il était aide de camp de Masséna. J’ai commencé par m’adresser à vous, Monsieur le Maréchal, mais vous me permettrez de ne pas accepter les raisons qui me sont données dans votre lettre, ce 15 mai, à savoir que ma réclamation a été faite lorsque les listes étaient closes.

Si je ne puis obtenir justice, j’enverrais ma démission, ne voulant pas continuer de servir un gouvernement aussi oublieux des devoirs rendus. L’Arc de Triomphe a été élevé aux soldats de l’Empire et non aux soldats de la Restauration, je tiens tous les fils de cette affaire et chargerai la preuve de mon dernier mot.

Pardon, Monsieur le Maréchal, de vous ennuyer si longtemps mais le nom de mon père à laver d’un affront, donne du courage ; si il n’avait pas été tué et qu’il fut là pour parler, sans doute son nom eut été gravé.

Mais ma lettre ne sera pas lue par vous, peut-être cependant, j’ose espérer que pour une affaire dont déjà vous aviez daigné vous occuper, vos ordres seront pris.

Je vous prie, Monsieur le Maréchal, de n’interpréter en mal aucun passage de ma lettre et de n’y voir que le sentiment blessé d’un culte voué par un fils à son père. J’ose encore espérer, Monsieur le Maréchal, que vous prendrez en pitié ma triste position et je finis en vous déclarant que j’userais jusqu’à mon dernier air et jusqu’à la dernière goutte de mon sang pour obtenir la réparation qui m’est due.

Veuillez recevoir l’assurance du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être, Monsieur le Maréchal, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

signé Baron Sibuet

auditeur au Conseil d’État

Paris, 19 mai 1842    52 rue Neuve Saint-Augustin »

 

Par le nombre de ses démarches et en menaçant de démissionner de son poste d'auditeur au Conseil d'État, Joseph Sibuet montre une certaine passion dans cette affaire. Son oncle Georges s'était déjà fait remarquer à la Restauration, en refusant une pension après une mise en retraite de ses fonctions de magistrat. De guerre lasse, le secrétaire général prépare la réponse du maréchal Soult, en disant que le nom de Sibuet sera inscrit sur l'Arc de Triomphe. Mais le 27 mai 1842, Martineau écrit à nouveau un rapport pour dire qu'il n'a jamais été question d'inscrire sur l'Arc de Triomphe tous les noms des officiers tués au combat, que par exemple Duprès, tué à Baylen n'a pas été retenu, qu'il n'a jamais été question non plus de ne retenir que les noms de ceux dont les familles réclamaient, que Sibuet n'a sans doute jamais commandé comme officier général (ce qui est faux), n'ayant été nommé que 7 jours avant sa mort. Enfin, le nom du général Morand inscrit sur l'Arc de Triomphe n'est pas celui du grand-père de Joseph Sibuet qui est baron mais celui du comte Charles Morand. Le nom de Sibuet n'est donc pas gravé ni en 1842, ni même en 1850, 1862 ou 1863. C'est seulement par la décision du 16 mai 1867 qu'il est inscrit. Joseph Sibuet peut enfin voir le nom de son père sur l'Arc de Triomphe avant son décès le 25 janvier 1874 au château de Vireux dans les Ardennes.

 

A. CHAGNY : Le général SIBUET, Belley, Imprimerie A. Chaduc, 1936

A. FIERRO, A. PALLUEL-GUILLARD, J. TULARD : Histoire et dictionnaire du Consulat et de l'Empire, Paris, Robert Laffont, 1995

M. GAILLARD : L'Arc de Triomphe, Amiens, Martelle éditions, 1998

P. LAROUSSE : Grand dictionnaire universel du XIXe siècle tome 1 à 17, Paris, 1865 à 1878 ; tome 14 : SIBUET

A. PIGEARD : Dictionnaire des batailles de Napoléon, Paris, Tallandier, 2004

G. RIVOLLET : L'Arc de Triomphe et les oubliés de la gloire, Paris, J. Peyronnet et Cie, 1969

G. SIX : Dictionnaire biographique des généraux et amiraux de la Révolution et de l'Empire, tome 2, Paris, G. Saffroy, 1934

B. STÉPHANE : Dictionnaire des noms de rues, Mengès, 1978 - (rues de Paris)

J. TULARD : Dictionnaire Napoléon, Paris, Fayard, 1999 (article SIBUET Benoît Prosper de L. TRENARD)

J. TULARD : Napoléon et la noblesse d'Empire, Paris, Tallandier, 2001

Service Historique de la Défense au château de Vincennes : dossier SIBUET Benoît Prosper (8Yd1542)

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