SULKOWSKI

Joseph

Chef d'escadron provisoire (lieutenant-colonel) et aide de camp de Bonaparte, né à Rydzyna en Pologne le 17 ou 18 août 1773, tué le 22 octobre 1798 par des émeutiers au Caire en Égypte.

Joseph Sulkowski est le fils naturel du prince François de Paule. Il appartient à l'illustre famille des Sulkowski dont le prince Auguste, apparenté à de nombreuses familles régnant en Europe. Après avoir été élevé dans le palais d'un de ses oncles, Joseph Sulkowski poursuit ses études chez le prince Auguste. Il y reçoit une éducation particulièrement soignée dans les langues et l'histoire militaire. Après la mort du prince Auguste en 1786, Joseph Sulkowski entre dans l'armée polonaise sous les ordres de Zabiello et prend part à la campagne de 1792 contre les Russes en Lituanie. Admiratif de la Révolution française, il obtient la naturalisation française en 1793 et épouse l'une des 2 filles de l'orientaliste Jean-Michel de Venture de Paradis qui participera à l'expédition d'Égypte. Sulkowski entre dans l'armée française le 1er mai 1796 avec le grade de capitaine. Envoyé à l'armée d'Italie et remarqué par Bonaparte, il devient l'un de ses aides de camp. Il fait partie de l'expédition d'Égypte. Il se distingue le 10 juin 1798 lors de la prise de Malte. Le 6 juillet 1798, Bonaparte écrit d'Alexandrie au Directoire pour demander la nomination de Sulkowski au grade de chef d'escadron car c'est « un officier de grand mérite et qui a été deux fois culbuté de la brèche ». La confirmation de sa nomination n'arrivera qu'après sa mort, selon arrêté du Directoire du 7 novembre 1798. Le 11 août 1798, Sulkowski est blessé grièvement au combat de Salayeh. Le 22 août 1798, il est nommé membre de l'Institut d'Égypte dans la section d'économie politique et, avec Caffarelli, Poussielgue et Tallien, dans une commission chargée d'établir un lexique franco-arabe. Durant la deuxième journée de la révolte du Caire, à la pointe du jour, le 22 octobre 1798, Sulkowski est envoyé en reconnaissance à la tête d'une quinzaine de guides. À son retour, attaqués par les émeutiers, quatre guides se sauvent et tous les autres sont tués. Bonaparte écrit au Directoire le 27 octobre 1798, à propos de Sulkowski : « son cheval ayant glissé, il a été assommé. Les blessures qu'il avait reçues au combat de Salahieh n'étaient pas encore cicatrisées. C'était un officier des plus grandes espérances. » Selon  le capitaine Desvernois, « les habitants ont fait manger par leur chien Sulkowski, brave et digne Polonais ». Selon Belliard, Bonaparte très affecté par la mort de Sulkowski, aurait aussi dit : « Il est mort, il est heureux. » Après sa mort une grande mosquée avec un mur d'enceinte fortifié, située à la périphérie du Caire sur la route de Belbeis, et transformée en fort pouvant contenir 600 hommes et 600 chevaux, est appelée fort Sulkowski. Le nom de SULKOWSKI (SULKOSKY) est inscrit sur l'Arc de Triomphe en 1836, sur le pilier sud en colonne 28, au-dessus des noms de LETURCQ (LETURC), MIREUR et DENOYER (DESNOYERS) tous tués en Égypte. Sulkowski laisse de nombreuses lettres et écrits. Jean-Édouard Goby note aussi un article remarquable par sa précision et sa clarté dans La Décade Égyptienne sur la description de la route du Caire à Sâlehyeh. Son nom figure sur le cénotaphe dédié aux morts de la campagne d'Égypte de 1798 à 1801, dans le cimetière latin de Terre Sainte, au Caire.



Portrait de Joseph Sulima Sulkowski dessiné par André Dutertre. Il fait partie des 184 portraits réalisés dans la campagne d'Égypte de 1798 - 1801.

Au bas du portrait, Dutertre fait l'éloge de Shulkowski (Sulkowski), sans oublier Bonaparte, il écrit :

Dans tous les arts, il obtient du succès.

Il fut savant sans vouloir le paraître.

Si, dans l'art des combats, il fit plus de progrès,

C'est qu'il choisit un meilleur maître.





 Sulkowski à Malte le 10 juin 1798


Dans la correspondance de l'armée d'Orient, Joseph Sulkowski écrit :

« Le général en chef avait partagé en deux la division Vaubois. Le général Lannes, avec sept bataillons, avait la tâche de longer le port de Marsa-Murciet, à la droite de Malte, et de chercher à s'emparer d'un des forts qui commandaient l'entrée, pendant que cinq bataillons, sous les ordres de l'aide de camp Marmont, devait marcher droit à l'aqueduc et barrer l'isthme qui joint la cité Vallette au reste de l'île. Il m'assigna pour mon poste l'avant-garde de cette brigade composée de plusieurs compagnies de carabiniers que je devais guider.

Nous partîmes le 22 prairial (10 juin 1798) de l'Orient à la pointe du jour. Toutes les chaloupes avaient été rassemblées à l'abri de ce vaisseau. L'ennemi ne défendit que faiblement le débarquement, car il fut surpris ; ce n'est qu'une heure plus tard, lorsque nous avions gravi plusieurs coteaux, qu'il vint engager une fusillade insignifiante. Lorsque Marmont eut réuni toutes ses forces, il marcha en avant. On nous avait avertis que l'ennemi nous attendait, mais il fut impossible de le reconnaître dans un pays barré par un dédale de murailles sèches qui contournent chaque champ.

Je m'avancais vers les tirailleurs, lorsque je trouvai déjà ceux-ci engagés. Les Maltais s'étaient placés derrière l'aqueduc même, car il domine les alentours ; ils occupaient aussi plusieurs maisons et une muraille leur servait de parapet. Les tirailleurs furent repoussés et je voyais l'instant où l'ennemi enhardi aurait
prolongé sa défense.

Sans attendre le reste de la demi-brigade, je perçai avec les grenadiers, par un chemin à demi-couvert. On les joignit. Une décharge à brûle-pourpoint les déconcerte et ils fuient en déroute ; l'habitude de sauter des murailles les préserva du trépas. Nous en tuâmes une quinzaine, et un drapeau rouge que j'atteignis, moi troisième,
fut pris.

Le choc fut court, mais vif ; nous ne tardâmes pas à en avoir un autre. Marmont, qui, pendant ce temps, avait enfoncé la droite des ennemis, ploya ses troupes militairement et m'envoya reconnaître la ville en me soutenant d'un bataillon. Je m'approche des portes et mes tirailleurs s'engagent malgré moi. Alors cinq cents hommes qui se trouvaient sur le glacis les serrent et les poussent à leur tour.

Cela enhardit la garnison et elle tenta une sortie. Mon dessein était de feindre une retraite pour les attirer sur le bataillon, mais l'ardeur des grenadiers ne me permit pas d'exécuter cette manoeuvre. Ils ne virent pas plutôt les ennemis à leur portée que, fondant dessus au pas de course, ils les forcèrent de se renfermer
dans leurs murailles.

Le soir, les Maltais tâtèrent encore inutilement nos avant-postes et, la nuit, une forte fusillade du côté de Desaix nous mit à même de nous convaincre que ce général avait rempli son but.

Effectivement, il venait de s'emparer des forts qui commandent la rade de Marsa Siroco et venait pour cerner la ville de l'autre côté. »

 






Sulkowski chef de brigade ou chef d'ecadron provisoire ?


■  Sulkowski chef de brigade

Le commissaire des guerres Jacques-François Miot (Versailles 1-3-1779 - Versailles 22-5-1858, maréchal de camp le 2 avril 1831, frère d'André-François Miot, comte de Melito, conseiller d'État sous l'Empire) décrit en 1804 la bataille de Salayeh :

« Enfin, notre cavalerie se trouva à portée du fusil ; des détachements du 7e [bis] hussards et [du] 22e chasseurs chassèrent avec intrépidité le groupe principal des Mamelouks. La poussière et le mirage empêchaient de bien distinguer ce qui se passait ; on entendait quelques coups de feu, mais plus souvent l'on voyait reluire l'arme blanche, qui ouvrait de larges blessures. Bientôt la charge devint générale ; les guides suivirent les hussards ; les généraux, les aides-de-camp donnaient l'exemple de l'intrépidité et du sang-froid. La jambe de bois du général Caffarelli n'arrêta point son courage. Legénéral Murat paraissait arrivé exprès pour cette affaire : il s'élança dans la mélée avec ce bonheur qui l'a rarement quitté.

Ce combat fut de courte durée. Le général en chef était resté presque seul ; le 3e de dragons s'avança au pas et, par une fusillade faite avec tranquillité et bien dirigée, força les Mamelouks à fuir et à laisser deux mauvaises pièces de canon, l'une et l'autre sur le même affût.

L'infanterie arriva trop tard et ne put servir. On enleva les blessés, que l'on transporta dans une mosquée où l'on établit l'ambulance. Le chef d'escadron Détrée [Détrès] fut rapporté dans un manteau. Il avait  14 coups de sabre sur le corps ; les chirurgiens le condamnèrent à mort ; mais son bon tempérament et le climat le sauvèrent...

Sulkowski revint avec une balle qui lui avait traversé le côté, et des coups de sabre. Il avait conservé dans le combat un si grand sang-froid qu'il racontait l'habillement, la couleur de ceux qui s'étaient battus avec lui. Un Noir, surtout, l'avait fort occupé ; ce coquin redressait ses longues manches en venant sur Sulkowski, et poussait des cris épouvantables qui n'intimidèrent point le Polonais, déjà éprouvé à Embabeh où il avait été fait chef d'escadron. À Salayeh, il fut fait chef de brigade. »

Jacques-François Miot écrit que Sulkowski a été nommé chef d'ecadron sur le champ de bataille d'Embabeh, c'est-à-dire le 23 juillet 1798. Ce n'est pas possible car la demande de Napoléon au Directoire remonte au 6 juillet 1798. Miot écrit que Sulkowski a été nommé chef de brigade sur le champ de bataille de Salayeh le 11 août 1798. C'est peu probable. Il doit confondre avec le chef d'escadon François Détrés (Arras 11-9-1769 - Naples 14-1-1815) blessé de 19 coups de sabre et de 2 coups de feu à Salayeh, et nommé provisoirement chef de brigade du 7e (bis) hussards par Bonaparte le 13 août 1798. Détrés sera nommé général de division au service de Naples le 16 février 1809 et sera aide de camp de Murat.



 Le dossier personnel de Joseph Sulkowski au château de Vincennes (2Ye 3853-24) porte sur sa couverture l'indication du grade de chef de brigade. Dans le dossier, on trouve effectivement un document portant la mention de Sulkowski chef de brigade et aide de camp du général Bonaparte. Il est émis au nom du ministre de la Guerre, sans nom d'auteur mais cependant vérifié par un certain Nonnois (?), en date du 23 vendémiaire an 9e (15 octobre 1800) et signale que Sulkowski a été tué à la révolte du Caire le 26 vendémiaire an 7e (17 octobre 1798). Cette date est fausse car la révolte du Caire a commencé le 30 vendémiaire an 7 (21 octobre 1798) et Sulkowski a été tué, d'après tous les témoignages connus, lors du 2ème jour de la révolte, soit le 1er brumaire an 7 (22 octobre 1798).


 

 Sulkowski chef d'escadron provisoire

Un autre document dans le dossier personnel de Joseph Sulkowski au château de Vincennes (2Ye 3853-24) donne son titre de nomination au grade de chef d'escadron. Il est daté du 22 brumaire an 7 (12 novembre 1798) et donne la nomination de Sulkowski au grade de chef d'escadron, sur la demande du général Bonaparte, selon arrêté du 17 brumaire  an 7 (7 novembre 1798). Cette nomination et ce document sont postérieurs à la date de la mort de Sulkowski. Ceci confirme qu'au moment de son décès Sulkowski était chef d'escadron provisoire. Le grade de chef de brigade (colonel) étant supérieur à celui de chef d'escadron (lieutenant-colonel dans la cavalerie), il n'y a aucune raison pour qu'après sa mort, Sulkowski ait été nommé à un grade supérieur.

Dans ses mémoires, le général Nicolas Philibert Desvernois (Lons-le-Saunier 23-9-1771 - Lons-le-Saunier 13-10-1859) confirme que Sulkowski, grièvement blessé à  Salayeh le 11 août 1798, était bien, ce jour, chef d'escadron. Desvernois mentionne aussi que le chef d'escadron Detrès (ou Détrés) grièvement blessé à Salayeh « fut nommé colonel à la suite » mais ne mentionne aucune nouvelle nomination pour Sulkowski.

 

■   Conclusion

Le document de nomination de Sulkowski au grade de chef d'escadron le 7 novembre 1798 confirme qu'au moment de sa mort, Sulkowski était chef d'escadron provisoire.

 

 

 

 

Le fort Sulkowski lors du siège du Caire en 1800 par Kléber, après la bataille d'Héliopolis le 20 mars 1800.

(extrait du livre L'État-Major de Kleber en Égypte 1798 - 1800  page 131)

 

Service Historique de la Défense (Château de Vincennes) : dossiers SULKOWSKI Joseph (2Ye 3853-24) - DÉTRÈS François (8Yd1134) - MIOT Jacques François (8Yd2790)

A. DUFOURCQ : Mémoires du général DESVERNOIS 1789-1815, Paris, Le Livre Chez Vous, 2009

J.-B. KLEBER : L'État-Major de Kleber en Égypte 1798-1800 d'après leurs carnets, journaux, rapports & notes, Paris, Édition établie par S. LE COUËDIC, La Vouivre, 1997

C. de LA JONQUIÈRE : L'expédition d'Égypte 1798 - 1801, Paris, Henri Charles-Lavauzelle éditeur militaire, 1900 - 1907, tome 3

P. LAROUSSE : Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle ; tome 14 :  SULKOWSKI Joseph ; tome 15 : VENTURE DE PARADIS

M. LEGAT : Avec Bonaparte en Orient 1798 - 1799 Témoignages, Bernard Giovanangeli Éditeur, 2012

H. de SAINT-ALBIN : J. Sulkowski - Mémoires historiques, politiques et militaires sur les révolutions de Pologne 1792, 1794, la campagne d'Italie 1796, 1797, l'expédition du Tyrol et les campagnes d'Égypte 1798, 1799, Paris, Alexandre Mesnier éditeur, 1832

L. REYBAUD, marquis FORCIA d'URBAN, MARCEL, A. de VAULABELLE : Histoire scientifique et militaire de l'expédition française en Égypte (10 tomes), Paris, A. J. Denain éditeur, 1830 - 1836

G. SIX : Dictionnaire biographique des généraux et amiraux français de la Révolution et de l'Empire (1792-1814), Paris, Georges Saffroy Éditeur, 1934

J. TULARD : Dictionnaire Napoléon, Paris, Fayard, 1999 (article SULKOWSKI Joseph de J.-E. GOBY)

E. de VILLIERS du TERRAGE : L'expédition d'Égypte, Paris, Cosmopole, 2001

http://www.gutenberg.org/dirs/
1/2/7/8/12782/12782-h/12782-h.htm
  :
pages 175 à 177 :
lettre de BONAPARTE du 6 juillet 1798 ;
pages 263 à 265 :
lettre de BONAPARTE du 27 octobre 1798.

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