La Salamandre dans la littérature, l'histoire et la peinture
« Au fond de la chambre, devant la cheminée, il y avait une salamandre allumée. Recroquevillée, les genoux au ventre, Sylvie dardait ses regards sur le poêle dont les petites fenêtres de mica rougeoyaient dans l'ombre. On eût dit une maison de poupée brillamment illuminée pour un anniversaire. À l'intérieur, il devait y avoir un orchestre, des tables chargées de friandises, des danseurs qui tournoyaient avec grâce en écartant les bras...»
Henri TROYAT
Extrait de Viou, Édition Flammarion, Castor Poche, 1980
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« Il (MAIGRET) lui sourit vaguement (à sa
femme), comme quand il ne savait pas ce qu'elle avait dit, et se replongea dans la
contemplation de la salamandre. Il y avait au moins dix poêles semblables dans la
maison, avec le même ronron, dix salles à manger qui avaient la même odeur
de dimanche, et sans doute en allait-il aussi dans la maison d'en face. »
SIMÉNON
La scène se passe vers 1950, dans l'appartement des Maigret, boulevard Richard Lenoir à Paris. Extrait de Un Noël de Maigret, Paris, Éditions Presses de la Cité, collection Maigret, 1956
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« La salamandre d'où rayonne une chaleur
insupportable »
Jules ROMAINS
Cité dans le Petit ROBERT 2015 à l'article Salamandre. Cette citation provient de Les hommes de bonne volonté - Éros de Paris au chapitre 12 : la garçonnière de Sammécaud et le petit bureau de Riccoboni. La scène se passe le 26 décembre 1908, rue de la Baume à Paris, dans un appartement que Jules Romains qualifie de décoré selon l'art moderne mais sous un aspect plus souriant, plus frivole, une espèce d'art moderne en vacances :
« Tout en lui appuyant sur le cou un baiser qu'il n'ose pas rendre aussi voluptueux qu'il voudrait, il entreprend de dégrafer son corsage. Elle (la comtesse Marie de Champcenais) a deux ou trois violentes secousses, qui répondent à la fois au baiser, et à l'ouverture des premiers boutons. Elle a honte d'être aussi émue. Elle s'efforce de sourire. Elle jette sa tête contre l'épaule de Sammécaud, et lui donne sur la courbure de la joue un baiser assez vibrant. mais elle s'écarte presque aussitôt. Quand les manches du corsage, retroussées, glissent sur ses bras, elle a de nouveau une secousse. Elle incline la tête le plus possible comme pour cacher avec son menton le haut de sa gorge que découvrent les dentelles de la chemise. Et dès que ses bras sont libres, elle les croise sur sa poitrine, les doigts accrochés aux dentelles qu'elle remonte le plus possible. Elle murmure d'une voix malheureuse : - J'ai froid. Il désigne en souriant la salamandre, d'où rayonne une chaleur insupportable. Il pense : - Que dira-t-elle dans la chambre ! D'ailleurs, tant pis. Ce n'est pas le moment de s'arrêter. Avant la venue de Marie, Roger Sammécaud s'était posé la question : - Est-ce que la chaleur de la salamandre se répand bien du côté de la chambre aussi ? Il sera plus correct de fermer la porte de communication quand Marie arrivera. »
Paris, Éditions Robert Laffont, 1988
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« La pièce où cette scène avait lieu présentait
l'aspect indéfinissable des endroits où s'écoule une vie faite de petites manies
(...). Elle offrait à l'esprit une image qui dans le monde des oiseaux
correspondrait à celle d'un nid, mais d'un nid clos de toute part, tiède et
moelleux sous sa bonne enveloppe de boue et brindilles. Pleine à éclater d'un
charbon qu'elle digérait avec un murmure satisfait, la salamandre peinte en
noire était le dieu rutilant du logis ; et les sièges de peluche olive, rangés
en demi-cercle autour d'elle, semblaient lui rendre un muet et fidèle hommage. »
« La pièce où s'échangeait ces paroles offrait
l'aspect de laideur cossue et douillette propre à bien des salles à manger
(...). Mais les chaises garnies en peluche flattaient et délassaient le corps ;
la salamandre, toute rose dans la pénombre, répandait sa douce et malsaine
chaleur, et comme le déclara l'économe en reposant sa tasse vide dans sa
soucoupe, mieux valait être ici que dehors. »
Julien GREEN
Extraits de Minuit 1ère partie chapitre 2 et 2ème partie chapitre 2, Paris, Éditions Plon, 1936
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« Chez les Grésandage on mettait aux manches des
côtelettes les petits étuis de papier que l'on voit dans certains restaurants.
Une tradition de la famille d'Élise, et chaque fois Joseph Quesnel l'en
plaisantait. Elle attendait de pied ferme la réflexion habituelle qui ne vint
pas. Allons, il était bien pincé. Richard aurait voulu placer un mot sur un
sujet tout différent. Bien qu'il tint la politique, à proprement parler, pour
indifférente à un fonctionnaire comme lui, et pour peu importantes ces
périodiques relèves du personnel ministériel, il était, par métier, assez
fortement impressionné par Caillaux, et un tantinet incertain sur ce qu'il
fallait penser de la candidature Pams. Quesnel était, il le savait, résolument
poincariste. Richard aurait aimé parler de ça. Pas mèche. Dans la salle à
manger, il y avait une salamandre et, comme on n'en finissait pas avec le
dessert, la bonne avait mis le café à réchauffer sur la plaquette ajourée.
Richard alla chercher lui-même l'armagnac dans le buffet. Les hommes ont des
prérogatives.
Les petits verres étaient vraiment petits, mais à leurs facettes,
il y avait un peu de doré dédoré. »
Louis ARAGON
Extrait de Les beaux quartiers, deuxième partie, fin du chapitre IV, Paris, Éditions Denoël, 1936
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« Le terrible hiver 40-41 vint avec toute sa
rigueur. À longueur de journée, Henriette fourrait
du charbon dans la vieille salamandre de dentelles noires, avec un long tuyau
coudé, traversant la vaste pièce sans cheminée. »
Elsa TRIOLET
Extrait de Le Premier accroc coûte deux cents francs, Paris, Éditions Denoël, 1945
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« À peine avais-je poussé la porte de la
bibliothèque, je me retrouvais dans le ventre d'un vieillard inerte : le grand
bureau, le sous-main, les taches d'encre, rouges et noires, sur le bureau rose,
la règle, le pot de colle, l'odeur croupie du tabac, et, en hiver, le
rougeoiement de la salamandre, les claquements du mica, c'était Karl en personne
réifié : il n'en fallait pas plus pour me mettre en état de grâce, je courais
aux livres. »
Jean-Paul SARTRE
Extrait de Les mots, Paris, Gallimard, collection NRF, 1964
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« Mme Bergheim est rentrée
à son tour, et éclairée par le bec papillon de la cuisine, prépare le repas du
soir. Mais il faut remplir la « salamandre » de la salle à manger, poêle à feu
continu, où la combustion s'opère lentement.
« Robert, va à la cave,
rapporte de l'anthracite »,
car il faut un charbon spécial qui ne laisse que peu de cendres. Robert sur une
chaise semble absorbé par sa leçon de géométrie. Il n'entend pas.
Une telle «
concentration » paraît suspecte à la maman qui s'approche et voit disparaître
dans la poche de son fils, la
Jeunesse illustrée,
jusque-là pliée au format de la page du livre. Décidément, la géométrie mène à
tout, à la condition d'en sortir. Ce matin, elle était sacrifiée au chocolat. Le
soir, elle abrite la lecture passionnante d'un roman de Jules Verne mis en
images. Cependant il faut bien s'exécuter. Robert prend le seau et la pelle. (…)
Toute la maison peut suivre la descente de Robert qui balance le seau afin que
la pelle sonne contre les parois. C'est par jeu sans doute. Aussi par prudence.
Car l'intrépide jeune homme n'est pas très rassuré dans la cave obscure. Il
craint les animaux des noires profondeurs et surtout les rats qui circulent la
nuit dans la courette et dans le sous-sol. Le bruit peut les éloigner. »
Roger HAGNAUER
Extrait de Deux jeunes parisiens en l'année du premier métro, Paris, Éditions de l'École, 1973
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« En ce
moment le feu dans la salamandre rougeoie derrière le mica, et les arbres sans
feuilles font un dessin rigide à travers le ramage des rideaux transparents.
Plus tard cette même chambre s’assombrira des verts de jungle de l’été, les
fenêtres s’ouvriront sur les vibrations tendues des cigales… Ce matin il pleut.
Il pleut depuis hier. Il pleut comme il pleut dans le Midi, régulièrement,
lourdement. Il n’avait pas plu depuis des mois et nous n’avions plus d’eau.
Revenus aux temps anciens quand il fallait toujours penser à économiser. Tout à
l’heure nous allons enfin pouvoir prendre un merveilleux bain tous les deux dans
la salle de bains bien chaude! Ce matin j’avais la flemme d’écrire mais je me
disais que si je ne m’y mets pas un peu chaque jour je n’y croirai jamais assez
pour continuer. Déjà hier je m’étais donné l’excuse de faire des gâteaux pour le
thé; la maison est encore tout embaumée de parfum de cannelle et de gingembre.
Aujourd’hui je suis tentée de trouver qu’il pleut trop, que c’est sinistre… on
n’y voit plus rien par la fenêtre… bien qu’au contraire la chambre n’en paraisse
que plus intime, plus chaude avec la lumière des petites cloches en pâte de
verre orangée. La chatte dort en boule sur la couverture de fourrure, poil
contre poil, petite touffe blonde sur l’immensité fauve. Le feu est rouge à
travers le mica de la salamandre et les fleurs du tapis sont douces sous mes
pieds. »
REZVANI
Extrait de Le testament amoureux, Seuil, Points romans, 1984
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« Noblesse oblige, Lutetia ne pouvait pas s'adresser à n'importe quel fournisseur malgré la difficulté des temps. Les aristocrates qui pullulaient parmi les officiers de l'Abwehr avaient bien conscience de s'installer dans une grande maison aux traditions établies, dont l'orfèvrerie était de Christofle, le cristal de Baccarat, la porcelaine de Haviland et l'ameublement du... Bon Marché « le magasin de la famille », comme disait la réclame.
Puis j'eus à commander des bureaux « ministre » en chêne verni chez Maurice
Legendre, le marchand de meubles de l'avenue Daumesnil, ou chez Roger Ardisson, le
fabricant du passage de la Main-d'Or, des bureaux moins imposants au faubourg
Saint-Antoine, des salamandres chez Chaboche, et même des dizaines d'oreillers
au Bon Marché. Ce n'était rien à côté des gros travaux lancés pour protéger
l'Hôtel des attentats. Le bouchement des baies extérieures du rez-de-chaussée,
avec un revêtement sapin fixé sur ossature, ainsi que la pose d'un grillage sur
la façade et la porte d'entrée, furent confiés aux charpentiers et aux
menuisiers de la maison Rondeau. Pour autant, Lutetia ne prit jamais l'allure
d'une petite forteresse comme le Meurice ou le Majestic. »
Pierre ASSOULINE
Extrait du roman Lutetia, Pierre Assouline et Éditions Gallimard, 2005
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« C'était tout à fait le genre de maisons où on chuchote. Elle n'était pas chauffée par un poêle, mais par une salamandre ; derrière la vitre les charbons rougeoyaient.
Zwaan s'approcha des portes coulissantes qui étaient fermées et, tout contre le bois, il tendit l'oreille.
-Elle dort, murmure-t-il.
Je perçus une voix de femme :
-Pim, je t'ai entendu, tu sais. Ouvre les portes.
-Elle ne dort pas, rectifia-t-il.
Il fit coulisser les portes, la lumière pénétra dans la pièce
du fond. Je constatai que celle de devant était sobrement meublée. Tante Fie
aurait trouvé cela beaucoup trop nu. La tapisserie était très claire. Dans cette
pièce aussi, il y avait une salamandre. Sur le manteau de la cheminée trônait un
gros réveil. Il était arrêté, il indiquait midi. Aucun intérêt ! »
Peter van GESTEL
Extrait du livre L'hiver où j'ai grandi - traduit du néerlandais par Mireille COHENDY, Éditions Gallimard Jeunesse, 2009
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« Les commodités bourgeois, nous les avions. Le confort aussi, à en juger selon les critères du
temps. Pas de chauffage central, bien entendu, mais des cheminées et une salamandre. »
Jacqueline de ROMILLY
Extrait du livre Jeanne, publication posthume. Dans cet extrait, Jacqueline de Romilly décrit l'appartement parisien dans lequel elle a grandi à partir des années 1920.
Éditions de Fallois, 2011
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La salamandre d'Aristide BRIAND
Aristide
BRIAND (Nantes 1862 - Paris 1932), homme politique français, militant
socialiste et syndicaliste, député de 1902 à sa mort a été le
rapporteur en 1905 de la loi de séparation des Églises et de
l'État. Il a été vingt-cinq fois ministre dont dix-sept fois ministre
des Affaires étrangères, à partir de 1906, et onze fois président du
Conseil, à partir de 1909. Il a été prix Nobel de la paix en 1926.
Il a loué de 1911 à sa mort un petit appartement de trois pièces au
deuxième étage du 52 avenue Kléber à Paris dans le 16e arrondissement.
Cet appartement était composé d'un bureau-salon tapissé de toile de Jouy, d'une
salle à manger chauffée par une salamandre et d'une chambre à coucher.
Marie BONAPARTE (Saint-Cloud 1882 - Gassin 1962), femme de
lettres et psychanalyste
française disciple de Sigmund FREUD, arrière-petite-fille de Lucien
BONAPARTE, frère de Napoléon, était l'épouse du prince Georges de Grèce
et la maitresse pendant cinq ans d'Aristide BRIAND. Elle sejourna dans
l'appartement du 52 avenue Kléber et après leur rupture, elle reçut le
1er cécembre 1919, une lettre d'Aristide BRIAND qui écrivait à propos «
du froid qu'il détestait et que j'aimais, du gel, de sa salamandre éteinte
etc...»
Gérad UNGER, Aristide Briand, le ferme conciliateur, Fayard, 2005
VERCORS, Moi, Aristide Briand (1862-1932) essai d'autoportrait, Plon, 1981
Célia BERTIN, La dernière Bonaparte, Paris, Perrin, 1982
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Félix VALLOTTON
Peintre et graveur suisse (Lausanne 1865 - Paris 1925)
naturalisé français en 1900.
Lié aux nabis, critique amer de la société de son temps, il se fit connaître par
de mordantes gravures sur bois publiées dans de nombreux journaux à partir de 1892 puis
en albums (Intimités, 1897-98). Ses peintures aux fréquentes discordances chromatiques, où la
stylisation (nus et paysages notamment) le dispute à un réalisme quasi photographique, sont parfois
d'une présence hallucinante.
(Grand Larousse en 5 volumes. Paris, 1992)
Max Rodriguez-Henriques dans l'atelier de Vallotton, son beau-père, au 6 rue de Milan à Paris 9e, en 1900 - huile sur carton 51 x 69 cm, Cologne, Collection Rau-Fondation UNICEF CR 334
Sur ce tableau, la Salamandre représentée est de type Renaissance.
«
Max Rodrigues dans l'atelier de Felix Vallotton, exécuté en 1900,
montre le beau-fils du peintre assis devant un chevalet dans l'atelier de la rue de Milan. Sur le
mur, au-dessus de la cheminée, on reconnaît Le Bain à Étretat (cat. 69) (huile sur
carton 47,8 cm x 63,2 cm peint en 1899 par Félix Vallotton) et, de part et d'autre, les deux
estampes ukiyo-e d'Utamaro appartenant à Vallotton. Celle de droite est tirée de la
série Huit vues des Beautés de Shimada, l'autre, accrochée sur la porte
entrebâillée, à gauche, et intitulée Distraction du festival Niwaka des maisons vertes,
représente deux courtisanes portant le costume traditionnel de cette fête se tenant à Yoshiwara. »
extrait du catalogue de l'exposition Félix Vallotton Le feu sous la glace sous la direction scientifique de Guy Cogeval, Isabelle Cahn, Marina Ducrey et Katia Poletti, Paris, Grand Palais, Galeries nationales 2-10-2013 - 20-1-2014
Femme nue de dos, accroupie devant une salamandre (1900) - collection particulière (Galerie Paul Vallotton, Lausanne. Soleure, collection Josef Mûller)
Sur ce tableau qui est une huile sur carton de 80 x 110 cm, la Salamandre Renaissance est mieux mise en valeur ; elle fonctionne aussi a un régime plus élevé.
« L'espace représenté dans ce tableau
est meublé avec des éléments provenant de l'atelier parisien de
Vallotton, rue de Milan, tout comme dans un autre intérieur datant de
1900 qui montre le beau-fils de l'artiste Max Rodrigues affectant de
peindre (tableau précédent). De la cheminée au tapis, tout correspond
dans les deux tableaux, sauf que dans Femme nue, l'angle
de vue est si serré qu'il empêche même de voir les deux estampes en couleur d'Utamaro
placées de part et d'autre de la cheminée et que la figure semble mieux insérée
dans l'espace. Aux vêtements négligemment jetés au premier plan à droite répond
à gauche une porte de placard entrouverte qui dévoile des objets soigneusement
rangés. Exactement à l'opposé se dresse à côté de la cheminée la silhouette de
la femme dont les contours anguleux sont repris par les motifs Art nouveau
ornant la grille de la salamandre. La mise en page pourtant n'est pas
parfaitement convaincante. L'aspect construit et artificiel de la situation est
indéniable ; on a presque l'impression que la figure de dos, à la carnation
immatérielle couleur de cendre et aux lignes si sculpturales, n'a été introduite
qu'ultérieurement. Sans être prêt à reconnaître dans ce torse un symbole
phallique, comme le suggéra récemment Sasha Newman, on ne peut que constater le
caractère insolite de cette silhouette incomplète, d'autant que la femme de
Vallotton, Gabrielle, en fut vraisemblablement le modèle. Cette dernière
apparaît en effet souvent dans ses tableaux de l'époque, mais rarement nue.
Est-ce la raison pour laquelle l'artiste ne représente que le dos de la femme
accroupie ? »
de Rudolf Koella, extrait du livre Nabis, Paris, Éditions de la Réunion des musées nationaux, 1993
Le nabi, de l'hébreu prophète, est un artiste membre d'un groupe postimpressionniste constitué à Paris en 1888. Les nabis sont des élèves de l'académie JULIAN (SÉRUSIER, M. DENIS, BONNARD, IBELS, Paul RANSON [1864 - 1909], Georges LACOMBE [le nabi sculpteur, 1868 - 1916]) ou de l'École des beaux-arts (VUILLARD, K.X. ROUSSEL, MAILHOL). Les artistes qui choisissent le nom de nabis unissent l'influence de GAUGUIN, rencontré par SÉRUSIER à Pont-Aven, à celle des estampes japonaises. Couleurs sourdes en aplats, lignes sinueuses, humour caractérisent le style nabi, qui fut pratiqué pendant une dizaine d'années. Des étrangers, tel VALLOTTON, ont appartenu au groupe, qui s'est intéressé à tous les arts plastiques et graphiques, à la céramique, au vitrail, au décor de théâtre.
(Grand Larousse en 5 volumes, Paris, 1992)
Ce tableau a inspiré le livre ci-dessus de
Martin SUTER
Le dernier des Weynfeldt, Éditions Christian Bourgeois, 2008
page 40 : « Le tableau montrait une femme nue agenouillée sur un kilim jaune devant une cheminée. Dans celle-ci se trouvait une salamandre, un poêle en fonte à façade vitrée, où le feu rougeoyait. La femme tournait le dos à l’observateur. La dernière enveloppe qu’elle eût abandonnée, une légère combinaison grise, reposait sur le tapis, drapée au-dessous d’elle. À quelque distance, jetés négligemment au sol, jaune et mauve, sa robe et son jupon. Elle tenait la tête légèrement inclinée, songeuse ou humble. Ses cheveux roux-bruns étaient relevés à l’arrière de son crâne. Elle avait la taille très mince, le bassin large, les fesses et les cuisses massives. »
p. 273 : « -Tu vois, dans le coin droit de la salamandre, la fioriture
dans la fonte ?
- Un bourgeon, ou quelque chose comme ça.
- Pour moi, ça ressemble à un petit cul.
- Possible aussi. Un petit cul, admit Lorena.
- Un petit cul vu de gauche, précisa Strasser.
Çà c’est le Vallotton de
Vallotton (1). »
p. 339 : « Il s’installa dans le confortable « fauteuil populaire » de
Max Werner Moser, un meuble original de 1931, l’unique pièce de sa
collection qu’il eût placée dans cette salle, et s’adonna à l’observation.
Le tapis jaune à motifs bruns, éclairés par une source de lumière basse,
quelque part derrière, à droite en dehors du tableau.
Les ombres tranchées
dans le remous jaune et mauve de la robe et du jupon jetés négligemment.
Le
vêtement couleur lilas d’où émergeait le torse de la femme, très nu à la
lueur de cette unique source lumineuse.
Le rouge chaud de la braise derrière
la porte vitrée de la salamandre.
Et dans le coin supérieur droit du poêle, la petite fioriture en fonte,
un petit bourgeon – ou un petit postérieur (1). »
(1) La « fioriture » dans les coins de la salamandre Renaissance est très fidèle au modèle de cette salamandre et c'est probablement prêter des intentions à Vallotton qu'il n'avait pas !
Ce tableau Femme nue de dos, accroupie devant une salamandre (1900) a été présenté sous le nom La Salamandre (1900) à l'exposition Félix Vallotton Le feu sous la glace à Paris, au Grand Palais (2-10-2013 - 20-1-2014) avec la légende suivante :
«
La scène se situe dans l'atelier de Vallotton, 6 rue de Milan à Paris. Le décor en
est décrit par le menu dans une gamme chromatique chaleureuse. À
commencer par la salamandre, moderne poêle de fonte placé dans la cheminée. Celle-ci supporte deux
bougeoirs, ainsi qu'une coupe de bronze doré et verre bleu ornée d'une plante. Leur reflet dans le
miroir se détache sur celui d'un paravent et d'un tableau. Au pied d'un fauteuil rouge sont jetés la
chemise et le jupon du modèle. Au milieu de ce désordre étudié, le tronc sculptural surmonté d'une
tête, mais en apparence privé de jambes, s'érige comme une anticipation du fameux Violon
d'Ingres de Man Ray, avec toute la symbolique érotique qu'implique le rapprochement. »
«
Après le rouge des poivrons celui des braises. Il reflète les
pensées brûlantes qu'on devine, sous ce chignon ramassé, dans le secret d'une conscience réduite
encore à un simple ovale. Doté d'un sens inné des valeurs (moutarde du tapis, canari de la robe
défaite), Vallotton les oppose avec une force qui enflamme l'érotisme latent de sa composition :
l'anti-Vuillard. Et pourtant, cette toile s'offre aussi comme du "dessin à colorier" : à nous de
remplir ses pointillés, de la cosigner en un sens, en imaginant à quoi pense cette
femme, selon notre humeur ou nos fantasmes. Vient-elle d'essayer des robes en attendant son amant,
ou se réchauffe-t-elle après son départ précipité ? Dans l'un et l'autre cas, son attitude déroute.
Pourquoi l'attendre dans le froid en s'ôtant d'emblée tout mystère, dans le premier, et rester nue
si l'on gèle, dans le second ? Le poêle est-il là pour évoquer le foyer dont elle rêve, ou la
brûlante intimité dont elle vient de jouir ? La braise dirait alors la puissance inquiétante du
désir et la fonte, la froide objectivité de la machinerie masculine. À moins que le nom du poêle,
qui donne au tableau son titre, ne désigne l'aptitude de certaines femmes à traverser, intactes, les
incendies de l'amour... Mais un peintre n'a pas à dire, juste à suggérer. Vallotton préfère laisser
les meubles parler et les tissus penser - ses intérieurs semblent avoir un inconscient, comme ses
paysages. Tout en veillant à masquer la scène du plaisir ou du crime (c'est la même chose chez lui),
il dispose un peu partout des indices, tel Hitchcock dans ses films : au spectateur de mener
l'enquête et d'identifier le coupable. Bien malin qui parviendra à le trouver : il est en chacun. »
de Claude Arnaud, commentaire sur La Salamandre (1900), détrempe sur carton 80,5 x 110,5 cm (cat. 136), extrait du catalogue de l'exposition Félix Vallotton Le feu sous la glace sous la direction scientifique de Guy Cogeval, Isabelle Cahn, Marina Ducrey et Katia Poletti. Paris, Grand Palais, Galeries nationales 2-10-2013 - 20-1-2014
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Édouard VUILLARD
Peintre français (Cuiseaux 1868 - La Baule 1940)
Membre du groupe des nabis, il en représente la tendance la plus intimiste. Sa peinture d'abord en aplats vibrants, a évolué vers des tons rapprochés et rompus, convenant à l'évocation pleine de sensibilité de l'atmosphère familiale dans laquelle il a puisé l'essentiel de son inspiration.
(Grand Larousse en 5 volumes, Paris, 1992)
Félix Vallotton dans son atelier vers 1902 (Huile sur carton 42,5 x 44,5 cm - Nancy, musée des Beaux-Arts)
Sur ce tableau de Vuillard, on reconnaît un siège de l'atelier identique à celui du premier tableau de Vallotton et on devine la salamandre Renaissance. Cet atelier est situé au 6 rue de Milan, Paris 9e.
Portrait d'Henry et Marcel Kapferer en 1912 (huile sur toile de 72,4 x 99,2 cm - collection particulière - n° COGEVAL-SALOMON IX-205)
Sur la partie gauche de la toile, on reconnaît la forme d'une salamandre (ou d'un modèle concurrent de poêle mobile !) avec les poignées typiques en porcelaine blanche. La salamandre et la cheminée sur laquelle elle s'appuie constitue un premier plan qui donne de la profondeur au tableau. Celle-ci est encore amplifiée par le fait que la table n'est pas au milieu du cadre.
« Lorsque Vuillard fit leur connaissance, les deux frères Kapferer, encore célibataires, partageaient un grand appartement 26, avenue de Clichy. L'aîné, Henry (1870 - 1958), ingénieur civil, inventeur et aviateur, avait fondé en 1910 la Compagnie Générale Transaérienne, d'où naîtra plus tard Air France. Marcel (1872 - 1966) bâtit sa fortune dans les affaires pétrolières, en travaillant pour la Royal Dutch and Shell Oil. Grand collectionneur, Marcel Kapferer avait une prédilection pour Redon, Bonnard, Cézanne, Renoir, et surtout Van Gogh. Admirateur de Maurice Denis dont il posséda les six panneaux de l'Histoire de Nausicaa (1914), il fut également sensible aux oeuvres décoratives tardives de Vuillard puisqu'il posséda une Place Vintimille et qu'il commanda au peintre en 1923 une frise pour son appartement de l'avenue Henri-Martin. Entourés de leurs collections respectives naissantes (Henry aimait Dufy, Utrillo et La Fresnaye), les deux frères attablés, lisent leur journal. La lumière du matin imprime sa marque par la transparence de la fenêtre, avivant le rouge profond du tapis et le jaune vif de la nappe. Mais malgré l'emphase colorée du tableau, le ton reste familier. Les deux hommes sont en robe de chambre et en pantoufles, et dans cette salle à manger où s'improvise un bureau, la séparation entre sphères privée et professionnelle est inexistante. Un accessoire, l'imposant téléphone placé au milieu de la pièce, unit autant qu'il sépare les deux frères. Annoncé par un spectaculaire cordon bicolore dont l'oeil ne peut s'empêcher de détailler la présence sinueuse, l'appareil fait précisément le lien entre le rituel quotidien et domestique du déjeuner matinal et le monde extérieur, celui des affaires et de la Bourse. Véritable topos de la modernité, comme il l'est également chez Proust, le téléphone semble avoir fasciné Vuillard qui traqua avec humour, dans ses portraits, son invasion progressive des intérieurs (Léon Gaboriaud, Madame Bénard, Madame Vaquez....) » de Laurence des Cars, Musée d'Orsay, Paris
Extrait du livre de Guy COGEVAL Vuillard, Washington, Musée des beaux-arts de Montréal, National Gallery of Art, 2003