La Sirène
original sur calendrier 1903 - Didier CROISSANT (voir sur la page suivante la vue « en relief »)
La Sirène est une baignoire pliante qui se démonte facilement. Ce système original est breveté en 1890 (brevets français n° 204 088 et 221 567).
Voici comment elle est présentée en 1901 :
« La Sirène réalise un progrès
considérable dans l'hygiène ; elle met à la portée de tout le monde
l'installation d'une salle complète d'hydrothérapie chez soi et cela dans un
espace de 0,65 x 0,65.
Il suffit pour l'installer d'avoir l'eau sous pression de 3 mètres et le gaz compteur, 10 becs.
Ses avantages principaux sont :
1° de prendre un bain complet 15 minutes après en avoir eu l'idée ;
2° une douche en pluie dorsale, en jet, froide, tempérée ou chaude ;
3° de se placer dans un local très restreint et de nécessiter très peu de frais d'installation ;
4° l'appareil entier restant la propriété du locataire, de se transporter facilement dans un nouvel appartement ;
5° de dépenser pour un bain complet : un mètre cube de gaz et 250 litres d'eau. »
Dans le coin du dessin à droite, position de la Sirène relevée
Prix du chauffe-bain seul 280 F ( 1271 € de 2023)
Prix de la Sirène sans meuble 450 F ( 2042 € de 2023)
Prix de la Sirène avec meuble pitchpin, douches non comprises 550 F ( 2499 € de 2023)
Extraits du brevet français de 1890 n° 204 088
■ L'innovation de la Sirène
C'est une baignoire démontable qui peut faire
partie ou non de la location d'un appartement,
comme l'indique ce reçu de solde
de loyer du 21 décembre 1916.
Cet astucieux système de baignoire démontable n'a
pas été copié, ni repris par la suite, sous une autre forme,
par exemple avec une vidange fixe, ce qui aurait bien aidé à une modernisation de cette Sirène,
car la Sirène du brevet de 1890 n'a pas de vidange : elle doit être vidée à la main avec des seaux,
comme cela se faisait dans les baignoires mobiles.
Original Bernadette CHAIGNET
■ Les baignoires en 1880 - 1910
La Sirène est tout à fait à la
mode des années 1880 - 1910.
Le décor est conforme à celui présenté dans
l'affiche ci-dessous d'Alfred CHOUBRAC pour des « lavabos de style » de
l'Hygiène moderne.
La baignoire
en particulier est alimentée par un réservoir d'eau chaude ressemblant à celui
de la Sirène.
« Lavabos » affiche signée A. CHOUBRAC (Bibliothèque nationale Paris)
( En bas à gauche : vente exclusive de cette Affiche AGENCE NATIONALE de Publicité 3, place de Valois PARIS
En bas à droite : Imp. BOURGERIE & Cie (ATELIERS CHOUBRAC) 83, rue du Faubg St Denis PARIS)
La baignoire de la Sirène avec des pieds très courts et des formes arrondies et évasées ressemble à celle de la gravure de Félix Vallotton
Félix VALLOTTON Le bain 1894 - Bois gravé en noir et blanc, tiré à 100 exemplaires sur bristol ocre pour L'Estampe originale de décembre 1894 - Paris, Bibliothèque nationale, département des Estampes et de la Photographie, Dc 292ct.2
Cette xylographie Le bain (18,1 x 22,5 cm Cat. 86) a été présentée à l'exposition Félix Vallotton Le feu sous la glace, Paris, Grand Palais (du 2-10-2013 au 20-1-2014).
Suzanne VALADON Modèle nu debout et femme nettoyant une baignoire, vers
1908 (Fusain sur papier calque 28 x 28,7 cm - Paris, Musée national d'art moderne, Centre Georges Pompidou)
Dans ce dessin de Suzanne Valadon, la baignoire
plus rustique en tôle non émaillée, très courte sur pieds,
évasée vers
l'arrière, ressemble aussi à celle de la Sirène.
C'est même
peut-être ce type de baignoire portable mais sans eau courante qui a donné à
Edmond Chaboche l'idée de la Sirène.
Suzanne VALADON Nu entrant dans le bain près de la grand-mère assise, 1908 (Crayon sur papier 30 x 37 cm - collection particulière, Suisse)
Dans cet autre dessin de Suzanne Valadon
représentant la même baignoire, on voit encore mieux qu'il n'y a pas d'eau
courante
et que l'eau est mise au moyen de brocs dont on en voit un, plein
d'eau, juste derrière la baignoire.
La baignoire des années 1900 est souvent en métal,
extérieurement en cuivre pour les plus luxueuses, et recouverte
ou non d'émail, non recouverte dans le cas de ce tableau.
Autre baignoire en cuivre recouvert d'émail dite « Lever de soleil »
représentée sur carte postale avec tirette articulée
Homme au bain de Gustave CAILLEBOTTE, 1884,
Musée des Beaux-Arts de Boston
Encore une fois, dans ce tableau de Caillebotte, en prêt au musée d'Orsay, à partir du 8 octobre 2024,
la baignoire est extérieurement en cuivre mais non recouvert d'émail à l'intérieur qui est en zinc.
L'homme au bain
n'a été, du vivant de Gustave Caillebotte, montré qu'une fois, à
Bruxelles, par un groupe de peintres d'avant-garde qui l'avaient tout
de même relégué,
génés, dans une pièce à l'écart de leur exposition. Longtemps aux mains
de propriétaires privés, il était peu connu du grand public jusqu'à son
acquisition, en 2011,
par le musée des Beaux-Arts de Boston. Aux États-Unis, où plusieurs
universitaires ont tenté d'établir, dans des travaux plus ou moins
sérieux, l'homosexualité supposée du peintre,
ce dos d'homme nu est évidemment un emblème. Et à Orsay, il sera sans
doute le point névralgique de l'exposition qui s'ouvre le 8 octobre,
l'énigme qui aimantera les visiteurs
et interrogera le regard - unique parmi les peintres de son époque -
que Caillebotte ose poser poser sur les hommes qui l'entourent...
(Extrait Le Point 2722 du 3 octobre 2024)
Dans Homme au bain,
Gustave Caillebotte dépeint un homme nu qui s'essuie après avoir pris
son bain, les pieds franchement plantés au sol, à la largeur de ses
épaules ;
sa figure constitue le point d'appui de tout le tableau. L'intérieur
est sobre, le décor minimal, ses vêtements de travailleur - des
bottines, un manteau sombre
et ce qui est probablement une volumineuse chemise de lin blanc - ont
été posé négligemment par terre et sur une chaise ordinaire.
(Extrait de Peindre des Hommes nus d'André
DOMBROWSKI et JONATHAN D. KATZ Catalogue de l'exposition au musée
d'Orsay 8 octobre 2024 - 19 janvier 2025)
Homme s'essuyant la jambe de Gustave CAILLEBOTTE, vers 1884
Collection particulière
Tableau présenté dans la même salle que le précédent durant l'exposition au musée d'Orsay
La baignoire pouvait aussi être réduite à un simple bassin appelé tub de l'anglais tub : baquet, bac,
mais toujours sans vidange et même sans eau courante.
■ La Sirène dans la littérature
« A partir de ce moment-là, il me semble que
pour Marco tout va très vite. Peut-être est-ce l'effet de l'éloignement.
Un de
mes déménagements - le premier - m'entraîne de la rue Jacob au haut de la rue de
Courcelles, d'un noir petit gîte à un atelier
qui admettait par sa verrière le
froid, le chaud, l'excès de clarté.
Je veux montrer ce que je sais faire,
contenter de naissants - et modestes - appétits de luxe :
j'achète des peaux de
chèvre blanche, et un appareil à bains, pliant, de chez Chaboche. »
Sidonie Gabrielle COLETTE (Saint-Sauveur-en-Puisaye 1873 - Paris 1954)
Extrait de Le Képi, Fayard, 1943
L'action se situe en 1896.
Dans l'édition des oeuvres de Colette de la bibliothèque de La Pléiade nrf
Gallimard (Tome IV page 332),
le paragraphe précédent comporte une note
à la fin de celui-ci :
Chaboche, ingénieur-mécanicien spécialisé dans
les appareils de chauffage et « à bains » avait son magasin
au 33 - 35
rue Rodier dans le IXe arrondissement.
Dans ce même roman Le Képi, la
salamandre est également citée : « La salamandre versait une torpeur carbonique
sur notre attente,
nous écoutions somnolents le coup de canon de la porte
cochère... »
et « C'est encore par une pluie de fin octobre ou de novembre que
Marco vient me faire compagnie un soir,
je me souviens de l'odeur de houille du
caban imperméable.
Elle m'embrasse. Son doux nez est mouillé, elle soupire
d'aise devant la salamandre
qui rougeoie, elle ouvre sa serviette... »