Rue de la Tour-d'Auvergne
Le 30-32 rue de la Tour d'Auvergne en 1920.
En comparaison avec le dessin précédent plus ancien, on peut noter la disparition des panneaux publicitaires au nom de E. CHABOCHE sur les murs, l'ouverture d'un portail donnant sur le jardin et la création de deux fenêtres au rez-de-chaussée du n° 30, correspondant à un des trois bureaux de direction (plan de 1950). Quant au bâtiment en arrière-plan, le n° 32, il a été reconstruit ou transformé : il est un peu plus haut, avec une toiture différente et des persiennes en bois remplacées par des persiennes métalliques.
L'immeuble du n° 30 date de 1788. En 1805, il est la propriété de Marguerite VADÉ de LISLE, danseuse à l'Opéra. Pierre-Jean BÉRANGER (19.8.1780 Paris - 16.7.1857 Paris) poète et chansonnier, inspirateur de la légende napoléonienne, y habite en 1830. Le compositeur des opéras Sigurd et Salammbô Louis Étienne dit Ernest REYER (1823 Marseille - 1909 Le Lavandou) après avoir résidé au 24 rue de la Tour d'Auvergne habite probablement aussi au 30.
Ces deux immeubles ont servi de logement à Edmond et à ses enfants. Au 32, au premier étage habitent Pierre, mon grand-père et sa famille. Au deuxième étage de ce même immeuble habitent Henri et sa famille. Au rez-de-chaussée surélevé se trouve une salle de stockage de salamandres ainsi que le logement du gardien M. LEVIEZ. Au 30, au rez-de-chaussée se trouvaient les salles de réception de l'appartement de mon arrière-grand-père : grand salon, billard, fumoir, salle à manger et au premier étage les chambres. Après son décès, en 1929, le rez-de-chaussée est entièrement transformé en bureaux. Cécile habite au premier étage. Quant au deuxième étage, il y a deux logements. Le premier est habité par Hippolyte ANGIBOUST, dit oncle ANGIBOUST qui, après la faillite de la quincaillerie de la rue du Bac en 1895 entre dans l'entreprise CHABOCHE. En 1936 ce logement est habité par les belles-soeurs d'Henri, dites tante Mizette et tante Vonnette. Dans le deuxième logement habite Lucie BARBOT, dite tante Lucie, cousine germaine de mon arrière-grand-mère Sophie ROGERIE épouse d'Edmond CHABOCHE, et aussi petite nièce du général HUARD (voir page d'accueil). Enfin Edmond, le fils aîné de mon arrière-grand-père, après son mariage en 1914, quitte la rue de la Tour d'Auvergne (le deuxième étage) en 1919 pour habiter Montmorency.
(photo et extraits concernant le deuxième paragraphe provenant du Dictionnaire historique des rues de Paris par Jacques HILLAIRET. Paris, Éditions de Minuit, 1963 et complété par le Paris des Artistes de Gérard GEFEN. Paris, Éditions du Chêne, 1998)
Original Chantal CHABOCHE
L'entrée commune du 30, à droite, et du 32, à gauche dans les années 1930.
Au fond de la cour se trouve une horloge avec marqué en dessous E. CHABOCHE & Cie. Sur la rue, la fenêtre au rez-de-chaussée fait partie du logement des gardiens M. et Mme LEVIEZ jusqu'en 1936 puis M. et Mme RUCHAUD entre 1936 et 1940. Au-dessus, la grande fenêtre sur rue et les fenêtres au même niveau correspondent à la salle de stockage des salamandres qui se prolonge dans l'immeuble de la rue Rodier (salamandres neuves avant livraison ou appareils en attente de révision ou de réparation). Au-dessus, au « premier étage » faisant le coin avec une fenêtre sur rue et une sur cour, se trouve la chambre de Marie-Madeleine, ma mère. Puis, au même niveau après la cage d'escalier, on distingue les fenêtres en balcon du salon puis de la salle à manger. Le bureau contigu a ensuite une fenêtre sur cour. Au-dessus, l'appartement des Henri a une disposition similaire, avec le salon et la salle à manger ayant des fenêtre en balcon. La pièce faisant le coin entre la rue et la cour est la chambre de Marcel. Chaque appartement, au niveau du fond de la cour dispose d'une porte ouvrant sur l'immeuble de la rue Rodier.
original Daniel CHABOCHE
Intérieur du salon du 1er étage.
Mon grand-père Pierre CHABOCHE a probablement installé temporairement des planches à dessins pour y réaliser des plans de salamandres ou d'aménagement de bâtiment ou de maisons, comme il apparaît sur le plan à droite sur le mur. Les fenêtres en balcon donnaient un éclairage particulièrement bon.
Original Chantal CHABOCHE
La façade du 32 rue de la Tour d'Auvergne sur rue dans les années 1930.
Les trois grandes fenêtres du rez-de-chaussée surélevé correspondent à la salle de stockage des salamandres qui avaient été précédemment des ateliers de fabrication de salamandres avant leur transfert à Clichy. Toutes les fenêtres du « premier » et du « deuxième étage » sont celles des chambres des appartements des Pierre et des Henri. Quant au dernier étage dans la toiture il y a les chambres des domestiques, une grande buanderie avec d'énormes lessiveuses, une « chambre aux pommes » et, dans le coin à droite, une « chambre aux rayons ». Sur conseil médical, cette installation de rayons ultraviolets est supposée offrir une exposition bénéfique pour la santé.
Pendant la dernière guerre et pour éviter de travailler pour les Allemands, Edmond, Henri et Pierre CHABOCHE louent une partie des locaux de la rue Rodier et de la rue de la Tour d'Auvergne à la Croix-Rouge pour y stocker du matériel. Les deux premiers niveaux du 32 de la rue de la Tour d'Auvergne sont ainsi remplis de matériel divers qui, malgré les surveillances, donnent lieu à un important marché noir. Après guerre, en juillet 1945, durant la nuit précédant le jour où un contrôle des stocks est programmé, un incendie, probablement d'origine criminelle se déclare au sous-sol. L'immeuble du 32 est complètement ravagé pour deux raisons : dans les stocks de la Croix-Rouge se trouvent des bouteilles de butane qui explosent et les pompiers, juste après guerre, sont mal équipés et tardent à intervenir. Les Pierre, sauf ma mère en séjour en Allemagne, évacuent précipitamment. Quant aux Henri, ils n'apprennent l'incendie que le lendemain, étant tous en vacances à Sèvres.
Voici le témoignage de mon grand-père Pierre sur cet incendie : « Dans la nuit du 24 au 25 juillet, un violent incendie, dont la cause restera vraisemblablement inconnue, s'est déclaré dans notre immeuble du 32 rue de la Tour d'Auvergne où en 1943, la Croix-Rouge française avait installé un immense dépôt de marchandises. Mon appartement et celui de mon frère Henri ont été en grande partie la proie des flammes. Nous avons perdu tout notre linge de maison, tous nos ustensiles de ménage et de cuisine, une grande partie de nos effets et linge de corps et de nos couvertures, une partie moins importante de notre literie et du mobilier. Geneviève et moi, en essayant vainement de lutter au début, avons été brûlés assez sérieusement aux mains et aux pieds mais cela n'a rien eu de grave et la cicatrisation s'est faite rapidement. Par bonheur toute la famille Henri était à Sèvres et tous mes enfants, sauf Philippe, se trouvaient loin de Paris. Cela a évité une catastrophe encore plus effroyable. Mais les dégâts sont énormes parce que les pompiers ont mis près d'une demi-heure à arriver et avec un matériel défectueux qui fuyait partout. Il a fallu trois casernes de pompiers et plus de 3 heures de travail pour qu'ils se rendent maîtres du feu. Nous voici réduits à l'état de pauvres sinistrés alors que le cauchemar de la guerre semblait terminé. Mais avec une certaine chance dans notre malheur, le pavillon d'habitation de Cécile et le bâtiment de la grande salle et des bureaux n'ont pas souffert, de sorte que notre instrument de travail est intact, ce qui est le principal. Notre moral reste bon et nous acceptons avec résignation cette épreuve, nous en remettant entièrement à la Providence. Actuellement nous nous sommes réfugiés à Sèvres et nous essayons péniblement de nous reconstituer un foyer. Les enfants sont tous partis à Saint-Servan et Dinard où ils vont rester jusqu'à la fin du mois. Ils rencontreront peut-être quelques membres de la famille. » (extrait de la lettre de Pierre CHABOCHE à Pierre SORTAIS le 10.8.1945)